romance is dead and done

un esprit ultra-cartésien au-dessus d’une tête bien remplie : on a souvent qualifié sam de genre de haut-potentiel avec un côté un peu têtu, et c’est presque un euphémisme, tant elle est insupportablement engoncée dans ses convictions et ses habitudes ; elle reste facilement accrochée à ses idées et est trop prosaïque pour tout à fait en sortir. ça la rend extrêmement obstinée, déterminée à mener ses projets à bout : c’est aussi utile professionnellement que chiant d’un point de vue interpersonnel. › cadette d’une famille de trois, sam est passée de déception n°2 quand sa soeur est tombée enceinte à 17 ans à déception n°1 quand elle a fait son coming-out. pour l’instant, son frère lui tient tête en restant le gamin parfait, intelligent, avec une sensibilité à religion dont n’ont pas été dotées ses deux grandes soeurs. sam s’est secrètement lancé les paris sur le moment où son petit frère allait craquer à son tour sous la pression familiale. à son grand désarroi, il étudie pour devenir rabbin. › fût un temps où, naïve et sans recul sur la vie, elle s’est entichée de sa meilleure amie, s’est enveloppée de ses bras et parée de son amour avec la puissante certitude que rien ne les séparerait ; puis il y a eu la désillusion, le mariage coup-de-tête en guise de pansement, la séparation quasi-immédiate. c’est imprimé dans sa peau comme un échec, même avec la conscience aiguë que c’était la seule issue possible. la rupture a été nette et sans bavure, irrémédiable, condamnant leur amitié et le passé partagé, laissant sam au pied du mur, face à face avec sa conscience lourde et des remises en question à la pelle. › renfermée sur elle-même, sa vie sociale restreinte à elle et sa conscience, sam s’entoure peu mais judicieusement. ses relations, outre son mariage raté, s’arrêtent généralement au bout du trois ou quatrième rencard, quand il s’agit d’apposer un terme, de parler d’elle-même : elle préfère mille fois son silence routinier et ses habitudes jamais dérangées, craint trop l’attachement et le désarroi immédiat qui peut s’ensuivre. à toute attache, quelle qu’elle soit, elle préfère l’éphémérité de la complicité, les instants fugaces volés et plus jamais mentionnés. et même ça, au fond, pourtant, ça lui fait peur. › rêve de gamine enfoncée dans les débuts de la technologie, sam conjugue passion pour le cyber et incapacité de savoir ce qu’elle veut faire plus tard et rejoint l’armée, où elle se spécialise en cyberattaques. trois ans, beaucoup de renoncements pour peu d’estime d’elle-même accumulée : elle quitte son employeur étatique pour livrer ses connaissances au plus offrant, évolue dans une firme intéressée par l’IoT, et se consacre à tout juste vingt-neuf ans comme la toute première développeuse de maison connectée écologique du pays. elle fait un ted talk, en a marre, et décide de se barrer pour ouvrir son shop d’épaviste en plein portland, en pensant que la vie y serait plus douce, plus simple, plus éloignée des contraintes connues jusque-là. sweet summer child. › acculée face à sa propre sexualité, sam a grandi dans une famille religieuse jusqu’à l’intolérance - ils l’ont acceptée sans vraiment savoir comment, avec toute la maladresse du monde, une grande envie de l’aimer comme elle est sans savoir comment s’y prendre. le point de rupture, ce fut ses fiançailles ; elle a cessé d’essayer avec eux, depuis, et chacun se noie dans son désarroi sans oser faire un pas vers l’autre. sa soeur aînée n’a pas eu cette chance, et a été catégoriquement rejetée de la famille - elle voit rachel comme le brouillon d’éducation, tandis que ses parents ont un peu revu leur façon de fonctionner avec elle : ça vient, mais ça vient doucement. qu’importe qu’elle vive aujourd’hui son homosexualité sans s’en cacher ni la rejeter, c’est resté tabou, pour elle, une espèce de culpabilité indicible vis-à-vis de sa sexualité, qu’elle porte toujours comme un fardeau, malgré les années. › au milieu de sa solitude, y a belinda qui perce et qui la remue, belinda qui pousse le mètre quatre-vingt malgré ses vingt ans et sa bouille de gosse, belinda qui a été élevée comme sa soeur mais qui la voit davantage comme sa mère, maintenant que la vraie est partie et qu’elle commence à se douter que ses parents n’en sont pas vraiment. belinda qui n’a pas choisi son prénom, avec sa mère ado qui savait pas quoi faire d’elle sinon lui donner un nom de bratz, belinda qui se retrouve fréquemment esseulée et qui commence à se poser des questions sur son identité. y a belinda et y a sa tante chez qui elle squatte toujours, leurs soirées devant des reruns de buffy et leurs confidences comme deux grandes gamines en soirée pyjama. y a belinda pour qui elle essaie d’être ce qui se rapproche d’une mère sans l’être, belinda qui la soupçonne de vraiment l’être et, entre elles, le fantôme de rachel, qui est partie sans laisser de nouvelles ou de numéro à contacter. l’impossibilité de lui parler, d’aider la gamine, d’éclaircir le bordel qu’elle a laissé en s’échappant loin d’eux. › et puis y a belinda, l’atelier d’épaviste, ses séries et ses jeux vidéos, puis surtout, y a chiara, la voisine d’à côté, ses sourires tantôt timides et discrets, tantôt parfaitement effacés. elle la remue dans ses habitudes sans qu’elle ne sache trop comment ; elle lui souffle le chaud et le froid sans que sam ne sache l’interpréter mais sans qu’elle ne souhaite en démordre non plus. appelez ça l’esprit de contradiction ou l’orgueil effronté de celle qui se sent délaissée : leurs mots repassent en boucle dans sa tête, les sourires qui en disaient long continuent de diffuser leur goût amer et le regard qu’elle sentait glisser sur ses lèvres continue de brûler face au mur de froideur auquel elle fait désormais face. elle a aucune idée de ce qui s’est passé, sam, et c’est peut-être présomptueux, mais elle veut comprendre le mystère chiara, quitte à se foutre dans l’eau et s’en mordre les doigts plus tard. chiara, c’est le premier risque qu’elle veut bien prendre dans sa vie rangée, c’est le saut dans le vide, sûrement pour pas grand-chose. mais au fond, c’est déjà ça.